La ruée vers l’or

La ruée vers l’or

La ruée vers l’or 2092 2560 En Exergue, le sport est une littérature à part entière

Par Ernest Pignon-Ernest et Pierre-Louis Basse

Parution le 26 avril 2024

Collection Beaux livres

Extrait

C’est d’abord l’histoire d’une rencontre. Celle entre Ernest Pignon-Ernest, l’un des plus grands plasticiens français, connu pour avoir été l’un des précurseurs de l’art urbain, récemment installé à l’Académie des Beaux-Arts, et Pierre-Louis Basse, écrivain à la vingtaine d’ouvrages, fervent amoureux du sport et qui n’a jamais cessé d’en faire un objet culturel à part entière.

Cette rencontre sonne comme une évidence. L’un proposant plus d’une centaine de dessins. C’est le travail d’un Maître. L’autre lui prêtant sa plume. Et quelle plume là encore ! Le résultat : un livre où une trentaine de figures de l’olympisme, d’Owens à Riner en passant par Zátopek, Fosbury, Besson, Comăneci, Spitz, Borzov ou Clay, sont sublimées. Un ouvrage qui raconte les Jeux olympiques à travers celles et ceux qui ont créé une rupture dans l’art de leur sport.

Un livre unique.

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Les jeux se dessinent

Carl Lewis

C’est peut-être ce qui en fait un champion hors norme, comme tombé du ciel, mais trop distant, trop lisse pour s’imposer dans le cœur des hommes. Un dieu lointain. Intouchable. Carl Lewis a pourtant fait aussi bien que Jesse Owens quarante-huit ans plus tôt à Berlin : quatre médailles d’or au cours d’une seule olympiade. Neuf titres olympiques, de 1984 – Jeux de Los Angeles – à 1996 – Jeux d’Atlanta. Folie ! Ce qui sépare Owens de Lewis : le premier ne se contente pas de défier l’histoire, le racialisme dément d’Hitler ; avec ce sourire d’enfant, on dirait qu’il est parmi nous. Tout simplement. Les images témoignent de cette candeur. Owens court, saute et discute le bout de gras avec son adversaire allemand, Luz Long. Quand il rentre au pays, il n’est même pas reçu à la Maison-Blanche.
La ruée vers l’or.


Alberto Juantorena

De l’or en barre pour un commentateur : impossible en effet de ne pas voir Alberto Juantorena. Impossible. Impossible de ne pas être emporté par ce torrent de puissance, d’élégance et de volonté. Alberto Juantorena s’invite dans notre mémoire pour ne plus jamais en sortir. Il vient de Cuba. Santiago de Cuba. Comme dans la chanson de Jean Ferrat, l’ami d’Ernest. Il a vingt-six ans quand il décide de s’aligner à la fois sur le 400 m et le 800 m. Folie ! Sept courses en moins d’une semaine. À Cuba, il est tout simplement El Caballo, « le cheval ». Aux Jeux olympiques de Montréal en 1976, son allure est telle qu’on ne sait si Alberto est le cheval ou le cavalier.
Dès la finale du 800 m, il pousse, semble se cabrer, fonce à grand renfort de foulées démentes (2 m 70) ; on dirait que les rênes sont lâchées. Jusqu’à cette crinière épaisse et brune qui en rajoute dans sa haute présence.
La ruée vers l’or.

Michael Jordan

Il fallait le voir pour le croire. Avec les copains de la radio, on n’en finissait plus de se tirer gentiment la bourre ; chaque jour, c’était à celui qui aurait la chance de pénétrer dans le Palau d’Esport Badalone… Oui, un vrai palais de rêve où les passes les plus folles défilaient sous notre nez, au nom du spectacle total : ils s’appelaient Johnson, Jordan, Bird, Barkley, Malone ou Drexler, avaient des noms de cow-boys énervés et jouaient au basket-ball comme des enfants surdoués ; certains d’entre eux étaient même en fin de parcours. Chaque match, bien sûr, était la promesse d’une gifle terrible pour l’adversaire désigné. Un jour, ce fut l’Angola. Un autre, la Croatie.
La ruée vers l’or.


Pierre Quinon

Qu’est-ce qui résiste à la perte d’un homme ? Un champion. Un héros que l’on imagine toujours plus fort que les autres. Plus fort que nous-mêmes. Qu’est-ce qui résiste à ce moment si mortel où cet homme, qui a côtoyé les dieux de l’Olympe, se jette par la fenêtre un jour d’août 2011 ? On pourrait en faire des tonnes bien sûr, autour d’un geste – la défenestration –, figure inversée de toute une vie ; depuis l’âge de quatorze ans, Pierre Quinon, champion olympique de saut à la perche en 1984, n’a plus jamais cessé d’emprunter l’échelle du ciel. Il a dix-huit ans quand il efface une barre placée à 5 m 50…
La ruée vers l’or.

Valeriy Borzov

L’épreuve du 100 m est aux Jeux d’été ce que la descente est aux Jeux d’hiver : épreuve reine, sacrée, incontournable. L’or du temps est à prendre ou à laisser. Munich 72 fut le rendez-vous du sport, certes, mais aussi celui de toutes les tragédies et de toutes les farces. Pourquoi la Comédie humaine s’arrête- rait-elle à la porte battante des Jeux olympiques ? Dans la nuit du 4 septembre 1972, tandis qu’il éprouvait des difficultés à trouver le sommeil – 3 heures du matin –, tout excité après sa deuxième médaille d’or, Borzov fut sérieusement secoué. Son insomnie n’était pas un rêve. Il venait d’apercevoir, sur un balcon mitoyen du bâtiment de l’équipe soviétique, un homme cagoulé muni d’une lourde kalachnikov. Persuadé que les services de sécurité allemands s’entraînaient à affronter le pire, le sprinteur ukrainien ne prit connaissance que le lendemain matin des attentats de Septembre noir et de l’assassinat de onze champions israéliens. Terrorisme au cœur du sport. Tragédie. Farce aussi. Presque un théâtre de marionnettes (…)
La ruée vers l’or.


Władysław Kozakiewicz

Moscou. Juillet 1980. Ne serait-ce que pour sourire un peu – avant le rire plus bruyant du futur champion olympique du saut à la perche –, rappelons que le communiste français Georges Marchais – satisfait, lors de l’hiver 1979, de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge – s’était fendu d’une historique analyse à propos des pays frères de l’Est : « Bilan globalement positif »… C’est assez dire que M. Marchais – présent à Kaboul au moment de l’invasion du territoire afghan –  dénotait un peu dans un environne- ment international vent debout face à l’URSS de Brejnev.
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Colette Besson

Ce sport est un arrache-cœur. Une simple victoire – étonnante et belle – crée un lien spécial avec l’histoire d’un pays ; notre mémoire, et tout ce qui peut bien réunir une famille. Ainsi de Colette Besson, la nuit du 18 octobre 1968. Je dis la nuit, car Colette disputait en plein jour, à Mexico, la finale du 400 m. Il était 3 heures du matin en France, et pour la première fois de ma jeune vie, mon père me réveilla afin d’assister à cette épreuve. Mexico était loin. Et l’image en noir et blanc, la taille du téléviseur en rajoutaient dans ce voyage. Au début de la course, j’eus l’étrange impression que Colette Besson n’y était pas ; je veux dire qu’elle semblait absente de cette finale tant ses concurrentes étaient parties vite et en avance sur la Bordelaise. J’avais dix ans. Le pif collé sur l’écran du Continental Edison couleur crème…
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Nadia Comăneci

Cette enfant sur la poutre… Ce corps fragile de poupée. 1 m 55 et 38 kilos de muscles. Ces yeux sombres, en amande. Ces petites couettes fixées sur un mignon chignon. Un ruban qui flotte. Et puis cette note de 10, que l’ordinateur ne parvient pas à afficher… Nadia Comăneci n’a plus besoin de personne pour orchestrer une fabuleuse révolution. C’est à Montréal, en 1976. Et plus rien ne sera comme avant pour la gymnastique. Nadia Comăneci n’avait pas quinze ans. Elle venait des Carpates, et depuis ses six ans, elle faisait ses gammes sous la direction de Béla Károlyi, son entraîneur. Un dur de dur. (…)
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Nikola Karabatic

Il fut un temps pas si lointain où la langue serbo-croate désignait une fédération, un pays, une nation capable de réunir les talents les plus fous. L’enfance de Kara s’approche de cette utopie. Cet espoir défiguré par la guerre, l’exil, une forme de nostalgie méditerranéenne. Les livres en témoignent encore aujourd’hui. Personne ne pourra détruire le souvenir d’une Yougoslavie dont on disait souvent que ses joueurs – footballeurs, handballeurs, volleyeurs – étaient comme les Brésiliens de l’Europe. Leurs noms claquent encore comme des drapeaux dans le vent de nos mémoires. J’ai grandi avec cette utopie.
La ruée vers l’or.

Jan-Ove Waldner

Rien de plus délicat que s’approcher d’un immense artiste dont la spécialité fut longtemps cachée au grand public. Il faut savoir ce que l’on dit. Se rappeler que le tennis de table ne devient sport olympique qu’en 1988, à Séoul. Jan-Ove Waldner a vingt-trois ans. Mais c’est dès l’enfance qu’il annonce la couleur : il a seize ans, en 1982, quand il dispute son premier championnat d’Europe. Folie de talent. Et c’est à près de quarante ans qu’il jouera sa dernière demi-finale olympique, à Athènes, en 2004. Entre-temps, vingt-cinq médailles sont allées dans la valise de Waldner. Une vie toujours offerte au jeu. Le jeu sous toutes les coutures.
La ruée vers l’or.

Thierry Rey

Il ne faut jamais faire de projets, surtout en ce qui concerne l’avenir. » Certains traits d’humour peuvent coller aux basques d’un gamin qui n’a jamais eu froid aux yeux. Tenez : c’est jour de bac pour l’élève Thierry Rey. Il raconte : « Je me suis levé ce matin. J’ai vu qu’il pleuvait et que ça caillait dehors. Du coup, je me suis recouché. » On dirait le début d’un bon roman de gare. Le jeune Thierry prit le bon train. Le futur champion olympique devait avoir dix-sept ans. Il préférait mettre des ippons sur le tatami à l’INSEP plutôt qu’aller à la pêche à un diplôme dont il ne parvenait pas à mesurer l’importance. C’est un 1 er avril qu’il débuta le judo. Il avait onze ans. Il était tout sauf un poisson. Plutôt une promesse de muscles et de malice. Avec Thierry Rey, on pourrait ajouter cette jolie devise de Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. »
La ruée vers l’or.

Michael Phelps

Avec Michael Phelps, c’est autre chose… Une fois posé devant nous le chiffre effarant de vingttrois médailles d’or, et tous ces rendez-vous olympiques qui défilent – Athènes 2004, Pékin 2008, Londres 2012, Rio 2016 –, c’est en effet une sorte d’homme limite que nous abordons. C’est si vrai qu’au bord du bassin, les commentateurs se régalent à coups de comparaisons de grands fonds marins : pour Phelps, c’est le terme de requin qui domine.
Requin… Depuis Les Dents de la mer, véritable aspirateur à trouille du génial Steven Spielberg, franchement, il y a des hommages plus rassurants… Phelps, immense prédateur ? Dévoreur ? Avaleur ? Déchiqueteur ? On peut affirmer, sans vraiment se tromper, qu’il fut un peu tout cela, mais d’une manière absolument inoffensive.
La ruée vers l’or.

Teddy Riner

C’est une forme d’enchantement. Cet homme si grand – 2 m 04 –, si lourd – 130 à 150 kilos –, qui danse là-bas pour fêter son titre de champion olympique… Londres 2012, Rio 2016, au fond, qu’importe. Une fois alignés les onze titres de champion du monde, le premier sacre à dix-huit ans, les conquêtes européennes, les tournois prestigieux, c’est ailleurs que le regard devrait se poser. On dirait que l’accumulation des titres boursoufle une gloire nichée dans quelques replis fabuleux. On voudrait remonter le temps de cet ours si merveilleusement bien léché.
La ruée vers l’or.

Marie-José Pérec

Ces Jeux olympiques ressemblent à ces villas d’enfance que nous avons tant aimées. On chavire de revoir toute cette beauté. Cette fulgurance d’un été. Comme le temps passe. Ainsi des rendez-vous que Marie-José Pérec nous offrait, en 1992 et 1996. Barcelone tout d’abord. Puis Atlanta. Quand on disait Marie-Jo… Cette femme était belle comme l’éclair d’un sprint. Une flèche nonchalante. On dirait qu’Ernest l’a regardée partir. Souvent, un trac de folie lui soulevait le cœur, juste avant l’épreuve. Capable de rendre son petit déjeuner dans la chambre d’appel, quelques instants avant le départ. Puis le trac laissait la puissance et la grâce prendre les commandes de sa destinée.
La ruée vers l’or.

Abebe Bikila

Il a vingt-huit ans, cet inconnu, et il court pieds nus sur le bitume de Rome. C’est simple comme bonjour : les chaussures de sport lui donnent des ampoules. Certes, il y a cette accélération effarante au 41e kilomètre – au revoir et merci à celui qui était le grand favori de l’épreuve, le Marocain Abdeslam Radi –, certes encore, le record du monde du marathon va tomber. Mais il y a autre chose derrière ce moment Bikila. Nul besoin de sonoriser les quelques derniers cent mètres de l’épreuve.
La ruée vers l’or.

Les auteurs

Ernest Pignon-Ernest et Pierre-Louis Basse

Ernest Pignon-Ernest est né à Nice en 1942. Depuis plus de cinquante ans, il a fait des murs de la cité son terrain de jeu favori. Il est l’initiateur du street art. Il siège à l’Académie des Beaux-arts depuis le 9 novembre 2023.

Pierre-Louis Basse est né à Paimbœuf en 1958. Journaliste et écrivain, il est un grand spécialiste du sport et de l’histoire. Il a notamment publié le très remarqué Guy Môquet, une enfance fusillée.

Ernest Pignon-Ernest n’avait jamais dessiné sur le sport, si l’on excepte une affiche pour le tournoi de Roland-Garros. C’est aussi ce qui rend cet ouvrage d’autant plus précieux. Ajoutez à cela les mots de Pierre-Louis Basse et vous obtenez un objet d’art, indispensable à l’approche des JO de Paris.

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